Association pour la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie volontaire

Lettre “Vie accomplie”

par Francy BRETHENOUX SEGUIN

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Cette lettre n’est que l’expression d’une réflexion sur la décision de mourir commencée il y a bien des années.

J’ai le sentiment, de plus en plus, que j’ai fait ma vie, que quelque chose est achevé. Il n’est point nécessaire de lui donner une suite dans laquelle je ne pourrai plus me retrouver, si ce n’est m’égarer dans les méandres de la vieillesse. Je pense à ces fragilités, ces pertes qui m’atteindront au point de devenir absente à moi-même. Une vie indigne où lucidité et raisonnement s’égareront, où la dépendance pour les gestes du quotidien et de l’intime prédomineront, où l’absence d’échanges intellectuels et affectifs avec mes proches s’accentuera. Je veux vous épargner cette image dégradante.

En attendant, le plaisir de vivre continue grâce aux relations, aux échanges d’idées, à l’attrait de nouvelles connaissances, à l’inconnu, aux voyages, aux découvertes, à l’art… Mais faut-il attendre l’épuisement du désir de vivre pour décider de mourir ? Je veux m’épargner la fatigue de vivre, qui passe par les peines physiques et psychiques, l’incapacité à vivre décemment le présent et à imaginer un avenir décent.
Je veux vous épargner la lourdeur d’une présence et d’un accompagnement long, contraignant et coûteux. Coûteux pour vous et la société. Je refuse de mobiliser des soins médicaux et préfère en faire bénéficier les plus jeunes plutôt que de les priver de ressources qui amélioreraient leurs conditions d’existence. Même en fin de vie, cette solidarité me semble indispensable.

Mais quand le bon moment pour moi viendra-t-il ? Celui que j’estime juste et nécessaire ? Je n’en ai aucune idée à ce jour. Je pense qu’il me reste encore quelques belles années, vu mon état de santé exceptionnel encore aujourd’hui. La vie m’a donné tout ce qu’elle pouvait me donner, au-delà de ce que j’aurais pu espérer. J’ai la sensation fort agréable de l’avoir accomplie de manière honorable. J’ai tenté de défendre des valeurs humanistes qui m’ont portée et tant apporté.

J’ai le sentiment d’avoir réussi mon existence en participant à la réussite de mes proches, de mes sœurs de passage et de mes étudiant(e)s. Bien sûr, je ne suis pas certaine d’avoir fait au mieux, mais j’ai fait de mon mieux avec mes faiblesses, mes fragilités et mon enthousiasme.

Toute ma vie j’ai privilégié ma liberté, je choisirai le moment de mourir pour rester ce que j’ai toujours voulu être. J’ai essayé d’être fidèle à moi-même, en évitant les grand-écarts entre ce que je disais, ce que je faisais et ce que je pensais. Je poursuivrai cet idéal jusqu’à la fin pour mourir dans la dignité. Sénèque, Épicure, entre autres, m’ont soutenue toute ma vie, et m’ont aidée à garder la tête haute. Je ne laisserai à quiconque le droit de décider pour moi de ce qui est digne et de ce qui ne l’est pas. A la dignité, s’ajoute le respect que mon entourage perdrait vis à vis de moi s’il m’obligeait à vivre contre ma conscience.

Ma volonté de mourir n’est en aucun cas lié au désespoir, tout au contraire, elle est liée au sentiment de plénitude que je risquerais de perdre si ma vie se dégradait. Et je préfère renoncer plutôt qu’endurer. Des années supplémentaires seraient un amoindrissement et non un supplément, un affaiblissement et non un perfectionnement. Et je serai seule à pouvoir l’estimer.

Qu’est-ce qui a donné et donne encore aujourd’hui du sens à ma vie ? Les valeurs que je défends, les êtres que j’aime, les idées que je partage et auxquelles je crois.

Le jour où tout cela deviendra inaccessible, la vie n’aura plus vraiment de valeur et de sens. En effet, comment pourrais-je vivre sans aimer, penser, chercher, partager, transmettre, sans être à la recherche de la nouveauté ?

L’avancée dans l’âge a quelques avantages, celui notamment de se débarrasser de la tyrannie du regard d’autrui, du désir du reconnaissance, de la séduction et de la compétition.

La possible éventualité de prendre la décision de mourir m’apaise, me soulage et me libère du joug de l’incapacité à décider quand je n’en aurai plus les moyens. Je me sens plus maître de mon destin en continuant à vivre debout jusqu’à la fin. Je m’offre cet immense privilège.

La possession de ce sésame amplifie le sentiment d’apprécier encore plus la vie et de ne pas craindre la mort, sentiment que j’ai toujours entretenu. La perspective de boire ce verre et de m’endormir me la rend calme, douce et apaisée.

***

Maintenant, il me reste la délicate mission de vous en parler librement.
J’aimerais partager avec vous des conversations libres, apaisées comme Noëlle Châtelet a pu le faire avec sa mère dans son livre La dernière leçon. Même si l’annonce du choix de fin de vie volontaire par la mère a été vécu, au début, par sa fille dans le refus et la colère, au fil des mois s’installent une réelle complicité, un soulagement, un respect mutuel inégalables, qui les a apaisées l’une et l’autre.

J’aimerais, à mon tour, vous faire comprendre et accepter mon choix, même si je n’ai pas de problème majeur de santé. La mort est incontournable et c’est pour vous faciliter les choses que je déciderai de la mienne en toute sérénité. Je vous épargnerai ainsi une fin de vie dégradante et pénible.

C’est par tact et délicatesse que je ne veux vous imposer la lourde charge de vous occuper de moi incontinente, démente ou grabataire. Je sais pertinemment qu’une vie lorsqu’elle devient survie peut être interminable et douloureuse pour celle qui l’endure et son entourage. Je me réserve le moyen de vous témoigner, jusqu’à la fin, la décence que je vous dois.

Aujourd’hui, m’est donné la liberté de choisir le moment de définir les limites de ma vie, alors pourquoi m’en priver ? Je ne veux pas attendre que l’épuisement, la fatigue, l’absence de désir, l’ennui prennent toute la place pour me retirer. Je craindrais trop de finir amère. Je ne désire pas voir l’intensité avec laquelle j’ai traversé ma vie s’effriter jour après jour. Je ne désire pas voir mon énergie se consumer puisqu’elle ne pourra se prolonger éternellement. Je ne veux pas avoir le sentiment que ma vie n’a plus rien à m’offrir puisque j’ai atteint autant que j’ai pu l’idéal d’une vie que j’ai eu la chance de choisir et de vivre.

Ce choix de mourir est profondément lié à la conscience d’avoir eu une vie accomplie. Je n’ai nul besoin de soumettre à quiconque l’approbation de cette estimation. Mais si ce choix se faisait avec votre accord, ce serait ajouter une légèreté supplémentaire à cette décision.

Je ne me dirige pas vers la mort par désespoir, mais parce que j’éprouve un sentiment de plénitude, de devoir accompli et de satisfaction. Je la considère comme une issue raisonnable qui est non seulement un droit mais une nécessité.

Partir un peu plus tôt, c’est laisser la place aux plus jeunes et vous transmettre mes biens prématurément dont vous avez plus besoin que moi et qui amélioreront votre quotidien.

Je désire rester responsable de ma mort comme je le suis de ma vie.

La mort n’est point une sortie de la vie, mais sa suite logique et attendue, alors pourquoi devrions-nous tant la craindre plutôt que de l’accepter ?

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