Association pour la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie volontaire

La question du « discernement »

Depuis que la Convention citoyenne sur la fin de vie s’ est tenue et a rendu son rapport final,

un des points communs aux différents groupes d’opinions des citoyens de la convention concernant la législation à mettre en œuvre, est le point concernant la vérification du « discernement » de la personne qui dépose une demande d’aide active à mourir.

Mais faire appel à la même expression générale de la « capacité de discernement », ne signifie pas nécessairement qu’on soit en parfait accord sur la définition d’un tel discernement, ni sur la façon dont il faudra juridiquement en assurer la vérification, alors qu’elle est présupposée chez un adulte majeur et que ce qui devrait être établi juridiquement dans tel ou tel cas concret, c’est une incapacité éventuelle.

Si l’usage de la question de la vérification du discernement a déjà une longue histoire , partiellement variable suivant les législations des différents États, dans de nombreuses situations cette vérification incombe concrètement à des procédures médicales.

Dans le domaine de la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie, les pays qui ont déjà une législation favorable, ont bien sûr mis en œuvre des textes et des procédures liées à cette vérification du discernement. Il est donc possible de s’en inspirer.

On peut cependant se demander, si en matière de choix de mourir, il n’existe pas des biais importants dans la neutralité idéologique attendue des médecins, encore plus forts que lorsqu’ils ont à estimer la capacité de discernement d’un patient qui fait le choix de refuser un traitement, ou de personnes qui demandent à bénéficier de tel ou tel acte médical.

En tout cas, il faudra être vigilant lorsque des médecins, appelés à valider la capacité de discernement ( présumée par défaut chez un adulte majeur ), pourront avoir tendance à diagnostiquer une faiblesse, voire l’abolition du discernement, en réalité sous le seul prétexte qu’ils se refusent, par « objection de conscience », à reconnaître la liberté fondamentale du choix de mourir, alors que depuis la reconnaissance du droit des patients, par exemple du refus de traitement, ils ont très majoritairement pris l’ habitude déontologique de respecter ce droit.

Il faudra être vigilant, pour toute « commission » future d’analyse des demandes d’aide à mourir, à ce que toute décision d’incapacité de discernement proposée par un médecin, puisse avoir rapidement une démarche en appel, avec sans doute la nécessité d’autres regards que le points de vue médical, sur l’absence éventuelle de « capacité de discernement » d’une personne qui déposera une demande d’accès à une « aide active à mourir ».

Il devra être très clair, au niveau des procédures administratives, que l’existence d’un droit à l’ « objection de conscience » des médecins hostiles à l’aide active à mourir, ne puisse pas se traduire par une tentative de certains d’entre eux d’abuser de la confiance qui leur serait faite dans cette évaluation du « discernement » des demandeurs pour déceler une éventuelle faiblesse ou abolition du « discernement » …

Pour réfléchir aux biais juridiques et idéologiques qui peuvent influer sur l’ évaluation du discernement, on peut par exemple analyser les usages de ce recours à l’ absence ou à la présence du discernement lorsqu’il s’ agit de mineurs .

Par exemple l’étude suivante :

DEKEUWER-DéFOSSEZ Françoise, « L’instrumentalisation du discernement de l’enfant », Recherches familiales, 2012/1 (n° 9), p. 163-171. DOI : 10.3917/rf.009.0163. URL : https://www.cairn.info/revue-recherches-familiales-2012-1-page-163.htm

Extrait introductif :
« Le discernement de l’enfant est considéré en théorie comme déterminant la possibilité de tenir compte de sa volonté, que ce soit pour effectuer des choix, donner son opinion sur les questions qui le concernent, ou pour assumer des responsabilités. Mais, en réalité, ce discernement est instrumentalisé par la société : il sera reconnu lorsque l’on souhaite pouvoir imputer à l’enfant une responsabilité, notamment pénale, ou lorsque ses choix correspondent à ce qui est considéré comme convenable par la société. Au rebours, les souhaits et opinions contraires aux attentes de la société seront impitoyablement refoulés au prétexte de l’absence de discernement de l’enfant, en arguant que cette absence de discernement est précisément révélée par l’incongruité de ces demandes.

L’importance donnée à la notion de discernement aussi bien pour les adultes que pour les enfants résulte de la place centrale que notre système juridique accorde à la volonté individuelle. C’est la liberté de l’homme qui lui permet de s’engager volontairement, et qui fonde l’engagement de sa responsabilité par les actes qu’il a commis. Une personne dont le discernement est aboli, par l’âge ou la maladie, n’a pas de volonté consciente et libre et ne peut exercer les prérogatives de la personne juridique : elle est logiquement soumise à un régime de protection qui est en fait un régime d’incapacité juridique « 


Dans le cas de l’exercice de la liberté du choix de mourir, il ne faut pas oublier que nous vivons encore sous l’effet d’un paternalisme aux racines culturelles anciennes : certains se croient encore autorisés à traiter d’autres citoyens comme de « grands enfants » …
Nous supposerons qu’une large majorité des médecins actuels ne considèrent plus leurs « patients » comme de « grands enfants » …

Armand Stroh
6 juin 2023

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