Association pour la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie volontaire

FAUT-IL MÉRITER DE MOURIR POUR EN AVOIR LE DROIT ?

FAUT-IL MÉRITER DE MOURIR POUR EN AVOIR LE DROIT ?

Par Philippe Mari

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Cette question, ouvertement détournée d’une fameuse formule de Viviane Forrester[1], veut poser le problème du fondement des dispositions légales existantes et en cours d’élaboration voulant répondre aux demandes de plus en plus pressantes d’assistance au suicide et de recours à l’euthanasie émises par une grande majorité des populations en Europe et dans les pays occidentaux.

Il y a un quart de siècle, cette essayiste constatait la fin de l’autonomie de subsistance acquise par le travail pour une grande partie des populations touchées par les conséquences de la mondialisation des échanges et les règles délétères du capitalisme financier. Ce qu’elle critiquait ouvertement, c’était la nature de la réponse que les États concernés apportaient aux victimes de cette crise économique structurelle qu’ils faisaient passer pour conjoncturelle : il n’y avait plus de travail, mais il fallait continuer à envoyer des CV, déposer des candidatures spontanées dans les entreprises, accepter par avance toute exigence de mobilité, voire de changer de métier au pied-levé pour pouvoir être autorisé à percevoir des allocations chômage. Au nom de principes moraux devenus inopérants (‟quand on veut, on peut″ ou ‟l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt″) on conditionnait l’attribution de ressources à l’acceptation d’entrer dans le jeu la pantomime : ‟Efforcez-vous de chercher du travail comme s’il y en avait encore et nous vous rémunèrerons comme si cet effort était lui-même un travail″ ! … Ce que l’auteure résumait par ‟mériter de vivre pour en avoir le droit″.

Toutes proportions gardées, la même logique est à l’œuvre dans les motivations qui poussent les parties les plus conservatrices de l’institution médicale et des instances bioéthiques à dresser un plafond de verre pour limiter la prétention des citoyens à jouir de l’autonomie et de la capacité d’autodétermination qui leur sont pourtant reconnues par la Convention Européenne des Droits de l’Homme, et bénéficier d’une interruption volontaire de vie.

Au nom de principes eux aussi tombés en désuétude comme ‟la vie est sacrée″ ou ‟tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir″, toute mesure de dépénalisation de l’euthanasie et de l’aide au suicide, depuis la première loi aux Pays-Bas en 2002, est entravée de limitations qui donnent aux critères d’application de ce droit le statut d’une récompense à mériter après un redoutable et souvent fatal parcours du combattant. Pourquoi ne laisse-t-on à quelqu’un le choix de décider de sa mort que lorsque précisément ce choix n’en est plus un ? Au nom de quoi des souffrances intolérables, une agonie imminente, ou une maladie incurable hautement invalidante sont-elles les seules à constituer des critères recevables pour justifier une demande d’aide à mourir ? Quelle est donc cette valeur suprême que recèleraient l’intolérabilité de la souffrance, le point de non-retour du pronostic vital ou le degré extrême de déchéance atteinte pour qu’un médecin ou un bioéthicien renoncent, qui à son serment d’Hippocrate, qui à son principe de non-malfaisance ? Vous l’aurez compris, c’est par son mérite à les endurer. Car quelles données plus ‟objectives″ peut-on joindre à sa demande d’en finir que les tonnes de souffrance, les montagnes de désespoir et le degré extrême de dégradation que l’on supporte pour la rendre recevable ?

À l’heure préélectorale où nous parlons, il est de nouveau question, en France, de repartir du projet Falorni pour faire avancer le débat sur la fin de vie. Mais est-ce en reprenant le projet d’une loi ‟d’exception″ au délit d’assistance au suicide que l’on fera avancer d’un iota l’obtention d’une loi positive de liberté de bénéficier d’une mort douce ? Pourquoi s’aligner sur tous ces pays qui, à la suite des Pays-Bas ont légiféré sur la fin de vie en prenant toutes les précautions pour ne surtout pas qu’on leur refasse le coup de la loi sur l’avortement ? Pourquoi ne pas s’aligner plutôt sur les principes de la loi fédérale Suisse pour proposer une loi qui autorise le bénéfice du suicide assisté aux simples conditions d’être doué de discernement, de s’administrer soi-même la potion létale et d’être assisté d’une personne dépourvue de mobile égoïste ? Cette loi s’applique sans abus ni scandales depuis 1937.

L’association Suisse Dignitas a déposé en septembre dernier une requête au Conseil d’État visant dépénaliser le pentobarbital et faire de l’accès à ce produit létal une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) visant à mettre en conformité la législation française en la matière avec l’Article VIII de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

À soutenir ce combat, nous n’aurons pas à notre tour à mériter la loi pour la faire adopter.

Paris, 1er février 2022.

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