par le Dr Bernard Senet
Atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique, Jeanine s’est battue, elle a suivi les traitements peu efficaces, elle a aménagé sa vie, son mobilier, les instruments du quotidien. Bien soutenue par son mari et sa fille, elle a profité au mieux des capacités qui la quittaient inéluctablement. Entièrement paralysée, respirant et déglutissant difficilement, elle a refusé les sondes proposées par les médecins et a convaincu ses proches, qu’elle avait préparés, de partir avant le terme. Compte-tenu des risques de fausse-route douloureuse, une perfusion a été posée pour lui injecter un anesthésiant à forte dose et l’aider ainsi à cesser de vivre.
Quand Christian a appris qu’il était
atteint d’un cancer du poumon d’emblée métastasé, il a réglé ses
affaires, réuni les siens et annoncé qu’il allait profiter des semaines
qui lui restaient avant de partir quand il le déciderait, pour ne pas
vivre les douleurs, l’hospitalisation et sa déchéance. Après des voyages
riches de souvenirs mais de plus en plus difficiles, des retrouvailles
émouvantes avec un fils et malgré un traitement morphinique efficace, il
a avalé un matin du Valium et des Bêta-bloquants. Quatre heures plus
tard, son frère appelle car le coma se prolonge; l’injection par le
port-à-cath d’une forte dose de sédatifs permet de réaliser sa volonté.
Ces deux personnes connaissaient leur
maladie et se savaient condamnées; elles ont voulu rester maîtres de
leur vie et de leur mort. En les aidant il y a quelques jours à mourir,
je les ai accompagnées dans le respect de leur volonté. Dans les pays où
l’aide active à mourir est légalisée, donc encadrée et contrôlée, ces
deux personnes auraient été ouvertement accompagnées. Ainsi, un suicide
raté, avec des séquelles, est moins risqué et l’entourage qui a le
courage de les accompagner ne risque pas en plus de poursuites pour
« non-assistance ». Les médecins, qui donnent ainsi le dernier soin, ne
risquent pas la cour d’assises comme en France.
La réflexion sur la fin de vie confiée au Pr Sicard doit répondre à la question clairement : puisque le suicide est accepté par la société, pourquoi le refuser à ceux qui n’ont pas les moyens physiques d’y parvenir? Ces citoyens atteints de graves pathologies perdent-ils leur capacité de décision ? Ils ont aussi le droit d’épargner à leur entourage la dissimulation liée à l’interdit, voire l’horreur du coup de fusil ou de la pendaison.
Les opposants à la légalisation de l’euthanasie avancent plusieurs arguments:
- les demandes sont rares, même inexistantes: dans les pays où la loi existe, l’aide active à mourir représente 1,5 à 1,8 % des décès, chiffre constant d’un pays à l’autre. En France, la pratique est reconnue par de nombreux médecins, mais personne n’ose le dire, par peur des poursuites judiciaires mais aussi par respect des malades et de leur famille. En projection, cela représenterait 10 000 euthanasies par an, à comparer aux 10 500 suicides déclarés.
- La multiplication des lits de soins palliatifs diminuerait les demandes d’euthanasie: si nous manquons effectivement de structures d’accueil de fin de vie, les études dans les pays mieux dotés montrent que les demandes demeurent les mêmes. Les patients ayant bénéficié de l’intervention d’une équipe palliative spécialisée ont autant recours que les autres à l’euthanasie. Ils ont d’ailleurs aussi eu plus recours à une assistance spirituelle !
- Donner aux médecins le pouvoir de tuer créerait un précédant et ouvrirait la porte à des dérives: les Néerlandais et les Belges n’ont évidement pas vu d’augmentation de leur mortalité. Les instances de contrôle mises en place fonctionnent et l’application stricte des principes de minutie par le corps médical ne pose pas de problème à des professionnels responsables. Les rapports annuels en témoignent.
- La loi Léonetti répond à toutes les situations: en fait, elle a rendu aux médecins un pouvoir que la loi Kouchner sur les droits du malade de 2003 leur avait enlevé. Dans la loi de 2005, l’avis médical est clairement désigné comme prédominant sur tout autre avis « non médical ». Alors que cette loi insiste sur le refus d’acharnement thérapeutique et sur le droit au « laisser mourir », si possible à domicile, le principal médicament utilisé en sédation est devenu inaccessible dans les pharmacies de ville fin 2005, au cas où des généralistes irresponsables l’utiliseraient abusivement !
- La vie ne nous appartient pas, c’est le cadeau d’un dieu: comme pour l’interruption volontaire de grossesse, il n’est pas question d’obliger un patient à être aidé à mourir, ni à un médecin de le faire… Reprendre un cadeau n’est d’ailleurs pas très élégant.
La vraie difficulté est d’accepter que chaque citoyen puisse disposer de son corps en toute liberté, particulièrement quand la mort se fait proche, mais aussi quand la perte d’autonomie est intolérable pour lui. En confiant la mission à un professeur de médecine, sans permettre un débat parlementaire et public, ou mieux un référendum, notre président de la République nous traite comme des irresponsables: il sait bien que le corps médical au pouvoir ne désire pas voir les patients-citoyens prendre en main leur santé ou la gestion de leurs soins, alors que les praticiens de base l’encouragent. A pathologie comparable, le patient qui a écrit ses directives anticipées a une meilleure espérance de vie que celui qui fait simplement confiance aux soignants . En refusant le vote d’une loi, ou en la rendant inapplicable par des contraintes irréalistes, nos députés iront contre notre principe d’égalité; parmi eux, nombreux sont ceux qui disent avoir des connaissances leur permettant d’accéder plus facilement à l’aide à mourir si besoin, c’est évidement aussi vrai pour tous les médecins. C’est faire peu de cas de la solidarité pratiquée par ceux qui aident actuellement dans la clandestinité.
Dans ma pratique, aider une personne à partir est toujours un acte difficile, émouvant et éprouvant, c’est un « dernier soin » dans la suite d’un accompagnement souvent complexe sur les plans techniques et psychologiques face à la maladie; il ne peut se faire sans l’engagement responsable du sujet, sans être dans la vérité du diagnostic et de son pronostic. Ce respect de la volonté de l’autre par les soignants et par notre société, ne serait-ce pas sa dignité ?
Dr Bernard SENET
10 0ctobre 2012