Association pour la légalisation du suicide assisté et de l'euthanasie volontaire

Le droit de mourir, question éthique… et écologique

par François Galichet ( juillet 2019 )

Jusqu’à présent, le droit de mourir délibérément était une question personnelle. C’est la dignité qui était (et est toujours) invoquée pour défendre ce droit ; il constitue « l’ultime liberté » concluant et parachevant toutes les autres.

Aujourd’hui émerge une nouvelle raison de le défendre. Elle ne se substitue pas à la précédente mais au contraire la complète et la renforce.

Nous savons désormais que la population mondiale, qui avoisine 8 milliards, passera à 10 milliards en 2050, dans tous les scénarios envisageables. Les milliards d’hommes vivant dans les pays émergents ou déjà développés comme la Chine et l’Inde aspirent légitimement à des standards de vie comparables à ceux des habitants des pays occidentaux (Europe et Amérique du Nord). Ces standards de vie (consommation de viande, automobile, voyages, etc.) sont responsables de la dégradation de la planète. Il faudrait quatre planètes si tous les hommes vivaient comme les Américains ; or rien ne justifie qu’on refuse à tous ce dont jouissent certains.

Assurément, de nouveaux modes de vie plus sobres peuvent et doivent être mis en œuvre, et de toute urgence. Mais même s’ils le sont, le lien entre le nombre des humains et l’exploitation de la planète ne disparaîtra pas comme par enchantement. On peut et on doit économiser l’énergie, diminuer la consommation de viande, se déplacer plus rarement ; mais une planète de dix milliards d’hommes consommera toujours davantage qu’une planète où le nombre des humains se stabilise, voire diminue.

A cela s’ajoute la question du vieillissement. Nous savons que la population mondiale sera de plus en plus âgée du fait de l’accroissement de l’espérance de vie. Cela ne veut pas dire que les personnes âgées vivront en meilleure santé plus longtemps. Bien au contraire, nous savons que la durée et le coût des soins ne cesseront d’augmenter du fait de cet allongement de la vie : c’est autant de ressources qui ne seront pas consacrées à la lutte contre la dégradation de la planète, l’éducation et l’insertion des jeunes. En France, la proportion des financements consacrés aux deux extrémités de la vie s’est inversée en cinquante ans.

En outre, toutes les études montrent que l’électorat âgé vote davantage que les jeunes et dans un sens plus conservateur, donc plus favorable aux problèmes de court terme (sécurité, santé, niveau de vie) et moins aux problèmes de long terme (transition écologique, éducation, lutte contre les inégalités). Les récentes manifestations le montrent clairement : ce sont les jeunes qui ont manifesté massivement pour le climat, tandis que les « gilets jaunes », qui défendaient le pouvoir d’achat et le niveau des pensions, étaient souvent des retraités.

La survie de l’humanité implique donc à la fois l’arrêt (voire l’inversion) de son expansion démographique et la limitation de son vieillissement. Bien entendu, il ne saurait être question d’imposer par voie étatique ou administrative une limitation des soins au-delà d’un certain âge : ce serait contraire à toutes les valeurs démocratiques et humanistes.

Il incombe donc aux personnes, et à elles seules, de savoir partir à temps, quand elles estiment que leur vie est accomplie et qu’il est opportun de céder la place aux générations suivantes. Dans les ateliers philosophiques que j’anime avec des seniors, de plus en plus de personnes déclarent vouloir mourir délibérément sans attendre les critères classiques de la fin de vie (maladie incurable, souffrance intolérable, handicaps irréversibles). Elles veulent pouvoir le faire le jour où elles estimeront qu’elles ont « fait leur vie », accompli tout ce qu’elles souhaitaient. Elles disent que ce sera alors pour elles un devoir de s’effacer discrètement et sereinement, dans la satisfaction d’avoir pleinement vécu jusqu’au bout.

La question de la mort délibérée n’est donc pas seulement une question d’éthique personnelle, comme on le présente souvent (décider de mourir pour des raisons de dignité ou pour éviter les souffrances et l’inconfort de l’extrême vieillesse ou de la maladie). C’est aussi, et ce sera de plus en plus une question morale, qui concerne notre rapport aux autres et au monde, et pas seulement à nous-mêmes. Ce n’est pas seulement pour exercer notre « ultime liberté » que nous décidons de mourir ; c’est aussi pour répondre à une exigence qui vient de nous, mais porte sur le monde que nous voulons laisser à nos descendants.

La future loi sur la fin de vie risque d’être obsolète avant même d’être votée si elle ne prend pas en compte cette exigence nouvelle, qui est au carrefour de la réflexion éthique et de la pensée écologique.

François Galichet

Ancien professeur à l’Université de Strasbourg

Auteur de : Vieillir en philosophe (Odile Jacob, 2015)

et de Mourir délibérément (Presses universitaires de Strasbourg, 2014)


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